Chapitre 3 : Lire oui! mais pas n’importe quoi!

mercredi 27 décembre 2023

Le chapitre 1, c’est mon blogue du mercredi 12 janvier 2022. Le chapitre 2, c’est celui du 13 novembre 2022. Il y avait, et il y a toujours en moi une pulsion de croisade pour une éducation qui mérite ce nom. J’avais mis mes critiques sur Babelio. Je les avais expédiées au Centre de services scolaire de Laval, obtenu une confirmation par téléphone de réception, mais depuis aucun suivi… Et voilà que ce que je dénonçais s’aggrave ENCORE. Alors je reprends et j’en rajoute.
Après que mon petit-fils se soit fait imposer les deux premiers tomes de la série des cadavres de Robert Soulières, le voilà qui arrive avec le troisième : Un cadavre stupéfiant (au sens de cocaïne !) Cette lecture est liée à un module de français de son école secondaire lavalloise, Georges-Vanier, dans lequel il doit endosser un rôle de booktubeur (mot anglais non francisé) qui recommande ce livre. On ne lui offre pas l’option de le critiquer. C’est très grave dans un contexte d’éducation censé développer la pensée personnelle.

Et que dit-il à nos ados, ce roman dont l’humour douteux ne peut le plus souvent être compris que par les adultes de la génération de l’auteur québécois né en 1950 (un Montréalais de ma génération)?
Des proverbes misogynes, racistes: Femme sans homme, barque sans gouvernail. / Personne n’a regretté d’être marié jeune ni de semer de bonne heure. / La vengeance est douce au coeur de l’Indien.
– Des jeux de mots pas drôles, gratuits, des allusions religieuses négatives, grivoises, anti-pédagogiques: … ta mère a toujours raison surtout lorsqu’on a tort. Et c’est ainsi qu’Allah est grand… (p. 105) / …. l’église Notre-Dame-de-la-Déconfiture (p. 124), tout près du boulevard de la Tentation (p. 157) / Le chien fait semblant d’écouter comme un jeune de 2e secondaire à son cours de morale (p. 115) / On se croirait dimanche tellement le calme est plat. Pire, on se croirait dans un film de l’ONF (Office national du film) (p. 120) / Et à la fin, passer à ses parents un sac de guimauves est, pour un enfant, une accablante tâche ménagère, du despotisme parental, etc. (p. 218)
– Des images stéréotypées et dégradantes: Mes parents sont des bourgeois indécrottables. (p. 16) / … le père d’Élizabeth […] est grand comme une borne-fontaine. […] mes excuses aux bornes-fontaines... (p. 18) / … refuser une invitation d’un gars bien gentil, mais qui n’a pas inventé les boutons à quatre trous, même si son visage en est rempli... (p. 39) / … son épouse qui ressemble à un frigo en spécial dans une vente de garage. (p. 58) / autres exemples (il y en a quasiment à chaque page) : la mariée qualifiée de beauté africaine dans une robe diaphane blanche (p. 92) / l’inspecteur qui dans le tome 1 salivait de désir devant son assistante noire, aux lèvres rouges dans un robe blanche, croit dans le tome 3, voir un ange, une beauté [prénommée Olga] montée sur des talons aiguilles […] avec de longues jambes dans des bas résille sous une micro-jupe, une pierre dans le nombril, une formidable crinière blonde, etc. (p. 158 et 159), et que lui dit-il ? – Venez, je vous paie un verre. Olga pousse la porte et l’inspecteur la suit comme un petit chien. (p. 160) Et cela continue sur ce ton, comme dans un vieux James Bond, en plus ridicule, puis Olga devient le Messie, le Sauveur (p. 164).
– De la désinformation (si je corrige mal, qu’on me le dise): … ce satané portefeuille en cuir d’alligator que j’ai tué en Égypte australe lors de mon dernier safari… (p. 31 – il n’y a pas d’alligator en Égypte ni même d’Égypte australe, le pays étant dans l’hémisphère Nord de la Terre; mais il y a des crocodiles, un animal sacré et protégé, alors quel message envoie-t-on avec un inspecteur de police qui en a tué un pour le plaisir?)
– Un français malmené, anglicisé, un exemple: C’est full foule…(p. 58).
– De l’infantilisation en même temps que de la sexualisation: aux pages 43 et 45, les ados sont invités à se comporter en enfants d’âge préscolaire en grattant un carré pour sentir le parfum de la mariée, en découpant ses vêtements de papier pour en vêtir une jolie poupée de carton, en touchant un morceau du tissu sensuel du veston du marié.
– De la banalisation des armes, de la folie meurtrière, de la cocaïne: – Toi, j’aurai ta peau, mon salaud ! Tu mérites la mort / L’inspecteur revoit en accéléré les films Massacre à la scie, Massacre à la tronçonneuse et La mariée était en noir. […] le bandit brandit un colt .45 modifié. Etc., où le fou furieux tire sur un faux prêtre revendeur de cocaïne pure à 90 % que les policiers s’empressent tous de goûter et de regoûter (p. 66 à 71), où le vieux curé regarde à la télé le film Un cadavre au dessert (une autopromotion de l’auteur, parmi plusieurs autres) (p. 90).
– Des policiers aussi incompétents que stupides et dépréciés: p.e. l’inspecteur interroge un otage sans penser à lui enlever son bâillon (p. 88), les deux policiers appelés à prêter main-forte ont l’air mais pas la chanson, ils sont traités de loustics (Larousse : individus en qui on n’a pas grande confiance) (p.107), et ce ne sont pas des lumières. (p. 146) / L’alcool aidant, l’inspecteur pourra aisément doubler ce chiffre dans son rapport. Et sur cette malhonnête réflexion, il se commande un triple cognac… (p. 161) / …. ce gros lard (l’inspecteur) peut-il mettre des mots sur quoi que ce soit? (p. 176) / – S’il a un bac, votre inspecteur de mes deux [fesses], c’est sûrement un bac de récupération. (p. 181) Il est de l’espèce des clowns (p. 195), un imbécile bon pour la déchiqueteuse (p. 202) / – Faire disparaitre cet inspecteur à la gomme sera une grande joie pour moi. Ça fera ma journée… (p. 208) / Dans les dernières pages, on découvre que l’assassin du faux prêtre et ravisseur d’Élisabeth est un policier qui est depuis assez longtemps dans la Police pour savoir comment on peut se moquer des lois. (p. 196)

Finalement, le clonage des Olga et du chien Rex par photocopies – le dénouement de ce roman – est très très loin de la qualité littéraire et philosophique du Frankenstein de Mary Shelley, hélas ! Très très loin des livres qu’il me ferait plaisir de voir dans les mains de mes petits-enfants, et probablement des vôtres ou de vos enfants, si ma démonstration en trois chapitres vous a atteint.

Comment expliquer que la Société des arts et de la culture (SODAC) de Longueuil a appuyé financièrement l’écriture de ce livre destiné aux ados? Le jury l’a-t-il lu? Dans les remerciements, l’auteur mentionne Félix Maltais (que j’ai connu à l’excellent magazine Les Débrouillards) «qui aurait préféré que son nom ne soit pas associé à ce roman». Est-il vraiment le seul?
Comment expliquer que des écoles continuent, année après année, à faire lire cette série de romans et que des pédagogues les louangent?